🏁USHUAIA🏁 – L’arrivée !!! 🥂😀😭… J800 et J801

J800 – Lundi 4 juillet – Tolhuin à Lago Escondido – 48km D+338m

Peu avant 8h, j’entends notre réveil humain nous inciter à nous lever et à nous habiller dans notre cave. Il aura fallu allumer le néon du plafond pour que cela soit réellement effectif. Avec un peu de courage et des petits bisous, les loulous se lèvent également, Emma un peu plus difficilement. Mais elle n’est pas du matin, comme moi. Les garçons sont bien plus efficaces, Sylvain déjà prêt à ranger les sacoches et les rassembler avant même que je sois en tenue. La seule motivation pour sortir de cette chaleur et d’entrer dans le froid et l’humidité de l’hiver de la Terre de Feu est que nous ne sommes plus qu’à 2 jours de vélo de notre objectif, ce qui nous tient et nous guide depuis plus de 2 ans, ce qui nous fait tenir dans les coups durs, les grandes côtes… Alors, on enfile toutes les couches de vêtements et poches poubelles pour imperméabiliser le maximum de surface de nos corps.

Il fait encore nuit dans Tolhuin lorsque nous nous lâchons dans l’inconnu, que nous roulons sur la boue et dans le brouillard, notre lumière rouge allumée à l’arrière. Nous accédons à la route nationale 3 au km 2953 alors que tout est emmitouflé dans l’aurore, le bruit et la lumière du soleil. Quelle drôle de sensation de quitter la civilisation, la dernière avant Ushuaia, et de se retrouver dans la forêt, dans une ambiance mystique avec la montagne qui nous trace le chemin. Nous roulons l’un derrière l’autre, en bordure du lac Fagnano tout recouvert de brouillard, et apprécions la douceur de l’atmosphère. Nul besoin de 2 paires de gants ni de pantalon supplémentaire. Ce que cela est agréable de ne pas avoir les doigts et les pieds qui nous brûlent de froid, de ne pas à avoir rétablir notre tour de cou sur le nez. On profite vraiment de ce début de journée, on ouvre grand les yeux et enregistrons ce qui nous entoure, comme si c’était le dernier! Et ça l’est presque. N’y pensons pas, la nostalgie arriverait et les larmes avec, je suis trop sensible, vous le savez!
Chaque jour, nous l’avons vécu comme le dernier, à prendre des photos avec nos yeux, à écouter autour de nous. Aujourd’hui, n’échappe pas à la règle et nous le savourons avec les chevaux, les vaches et même les renards… Lors de notre premier stop à un mirador sur le lac, à 16km de notre départ en fin de matinée, nous sommes observés par un renard, puis un second et un dernier (mal en point celui-ci). Il est beau ce premier qui s’assoit, écoute, s’étire en baillant à côté de nous à 5m. Comment ne pas résister devant ce pelage, cette longue queue touffue, ces couleurs de camouflage, ce petit museau? A en oublier la route, c’est dire!

Nous continuons parmi les arbres, les tons de gris, les nuages et le brouillard, les quelques champs, le crachin qui nous mouille légèrement et la Cordillère blanche se dévoilant et s’élevant comme une barrière que nous devrons passer demain. La route la suit à sa base et le long de ce lac qui s’allonge jusqu’au Chili. Entre ces 2 éléments naturels, nous avançons à très bon rythme, bercés par notre nouvelle playlist. Raphaël chante sous son poncho bleu pour accompagner. Et aujourd’hui, surprise il peut m’aider dans toutes les côtes, comme Emma avec Sylvain. Leurs pédaliers ont été réparés à Tohluin. C’est doublement plaisant pour nous: une aide physique certaine et un finish sportif ensemble! Le soleil essaye de percer, le plafond nuageux s’élève et nous apercevons de plus en plus la Cordillère et son manteau neigeux. Le temps toujours doux oscille entre crachin, pluie et accalmie. Une bonne surprise que l’on ne se mouille pas tout le temps, ni qu’il y ait du vent. On est presque tranquille sur la route, excepté avec le souffle des camions en sens inverse qui nous mettent, sans le vouloir et le savoir, une claque trempée à chaque fois. Ouah, ça réveille.

Après 33km, nous nous permettons une halte de satisfaction sur le bord de la route. Il est un peu plus de 13h et il ne nous reste plus que 15km avant un restaurant sur le hameau de Lago Escondido, où vivent une vingtaine d’habitants. Il pleut et nous n’avons pas encore très faim. Nous pouvons donc rouler encore une bonne heure pour l’atteindre, y manger un bon repas chaud et demander à y dormir aussi. Alors, nous avançons encore mais en s’éloignant de notre grand lac Fagnano, de ses tourbières gelées aux teintes fantasmagoriques. Avec le brouillard, l’ambiance est particulière, ferait presque peur, comme si quelque chose allait en sortir. Ajouté à cela, des arbres violet aux branches nues, le tableau est unique. Nous nous rapprochons de la montagne, celle qui touche le ciel, celle qui se dresse blanche sur son sommet nu de végétation et de forêt. On voit bien la démarcation des tombées de neige des derniers jours. Hier, ce devait être 22cm sur la journée.

Les kilomètres s’enchaînent encore bien, sans souci de pneu crevé, sans trop de dénivelé ni de circulation. Nous arrivons sur un premier lieu-dit Villa Marina, avec son petit étang et son restaurant… fermé ! On hésitait entre celui-ci et le suivant pour le déjeuner. Pas le choix, nous continuons jusqu’au village, au pied de la côte pour passer le Col Garibaldi. Les enfants commencent à avoir faim (nous aussi!) et c’est la distribution de petits pains pour nous faire patienter sur les 6 derniers kilomètres. La route se redresse, scinde la forêt encore verte, atteint un autre lac, le lac Escondido, puis traverse le hameau de maison en bois coloré. Le propriétaire du restaurant est aussi celui de toutes les bâtisses des environs. Peut-être pourra-t-il nous aider pour dormir ce soir? Et bien, non! Le restaurant est fermé comme toutes les barrières autour. Réflexion sur le bord de la route pour savoir quoi faire: aller demander au resto au-dessus du village à 100m ou trouver le site d’un vieil hôtel près du lac et dormir dans les bâtisses abandonnées? Avec le dégel des dernières heures, tous les sols sont détrempés, et il nous parait vraiment difficile de bivouaquer en tente ce soir… Par ordre, nous allons demander à la sortie du village, non au restaurant puisque ça n’en est pas un, mais à la DDE locale et à la protection civile qui ont leurs bureaux ici.

Notre découverte nous fait perdre confiance sur le fait de dormir au sec, alors en attendant de trouver le chemin pour le vieil hôtel abandonné, nous demandons à manger sur le banc et la table qui se trouvent sur le parking de la « vialidad nacionale ». L’accueil est si chaleureux qu’ils nous proposent de déjeuner à l’intérieur de leurs locaux, au chaud! Rien que ça, nous revigore à 14h45 passée! Un bon pique-nique assis face à la montagne et au lac visible derrière la grande baie vitrée nous fait plaisir. Mais lorsque Sylvana (travaillant à la protection civile) revient nous voir pour nous dire que nous pouvons dormir dans un dortoir ce soir, ici, avec eux, c’est comme Noël pour nous! Quelle gentillesse! Notre dernier soir de voyage à vélo se passera au chaud sur des bons matelas.

Nous débarquons toutes nos affaires des vélos, tous les jouets des enfants qui les étalent sur la table de la pièce commune à côté du poêle et nos tasses pour le thé et le café. La fin d’après-midi passe évidemment rapidement, entre les photos du jour à trier, le jour à commencer à écrire, les thés enchaînés, les discussions, le visionnage d’un dessin animé, la sortie en extérieur pour les adultes afin de sortir le drone une dernière fois près du lac (les enfants, pas fous, ont préféré rester au chaud!), l’aide pour le bois, les allers-retours pour aller récupérer du WiFi pour notre réservation d’appartement à Ushuaia pour demain soir (toujours dans l’attente d’un mail de confirmation) et l’invitation par Denis, Gustavo et Sylvana de partager un repas qu’elle nous confectionnera. Et je peux vous garantir que cela sent bon dans la cuisine (je l’ai même interrogée sur la recette!). Incroyable de terminer en beauté ainsi avec eux! Tous les 5 à table, nous dînons à 21h, un guizo (je vous laisse chercher sur le net quel type de repas cela est) que nous reprendrons tous 2 fois puis discutons encore un peu le temps que les enfants aillent se mettre au lit.

C’est notre tour quand nous commençons à bailler et à sentir la fatigue s’emparer de nous, devant refuser la proposition de Denis de jouer aux dés. Une autre fois peut-être! On s’interroge alors avec Sylvain sur la transposition de cette situation dans notre pays. Serait-ce possible en France que des étrangers soient hébergés dans le dortoir de la DDE? C’est presque surréaliste qu’ils nous ouvrent les portes et les bras comme cela. Une nouvelle fois, jusqu’au bout devrais-je dire, nous apprenons sur l’hospitalité! Merci à eux pour nous donner autant. C’est sur ces pensées que nous savourons notre dernier soir avant le dernier réveil pour la dernière journée de vélo. Ah bah ça y est, je pleure. Je n’arrive pas à croire que cela puisse être le dernier. La ligne d’arrivée paraissait tellement loin sur notre GPS. C’est passé tellement vite, trop vite. Pas déjà. Pour l’avant dernière fois, je vous laisse à 23h30 et vous dis à demain, pour une dernière revue de presse.

J801 – Mardi 5 juillet – Lago Escondido à Ushuaïa – 52km D+ 620m

Ça y est, nous avons enfin pris notre douche après 7 jours de vélo et d’attente. Ah, ce n’est pas à ça que vous vous attendiez en début de compte rendu? Alors je recommence histoire de faire durer le plaisir…
Ça y est, nous avons passé l’entrée de la ville d’Ushuaïa, cet après-midi en bonne compagnie en plus! Mais je sens que la narration de ce soir va être très difficile. Les larmes me viennent facilement juste sur ces quelques mots. J’essaye, je me lance, je me concentre.

La petite voix qui me réveille depuis 800 jours le fait aussi ce matin, peu avant 8h. C’est la der des der alors la motivation prime contre la chaleur de la couverture dans laquelle j’ai dormi. On réveille les enfants de l’autre côté du dortoir, on s’habille pour la dernière fois avec 2 pantalons, 2 tee-shirts, une polaire et les grosses chaussettes de laine mérinos. Nous prenons possession de la table dans la salle commune avec le poêle pour y petit-déjeuner. Tout est sorti, on peut tout manger, cela m’allègera. En même temps que nous mangeons, nous rangeons (pour les adultes bien sûr) les sacoches, assez rapidement aujourd’hui: nous sommes habitués, chaque chose à sa place. Comme nous mettons tous les vêtements sur nous, en plus il y en a de la place dans les sacoches, c’est facile. A 9h30, nous sommes quasiment prêts, et transpirant dans notre attirail à côté du poêle. Denis et Gustavo sont réveillés, Silvana est en déplacement sur Ushuaïa. Ils nous accompagnent dehors pour le départ, face au lac Escondido, aux sommets enneigés tout juste éclairés à leur cime. La journée sera belle et ensoleillée, et il ne fait pas si froid ce matin. Nous avons vraiment bien fait d’attendre quelques jours à Tolhuin que les conditions climatiques soient plus favorables. Cela promet pour nos au-revoir à la route.

Route n°3 nous voilà, au km 3000 pile, nous enclenchons les pédales. Ce n’est pas moins de 9km de côte dans la forêt, sur un espace qui se réduit au 5ème jusqu’au col Garibaldi. Notre vitesse moyenne est de 5km/h, tout dépend du pédalage de mon binôme qui préfère jouer. Pour ma part, je préfère m’imprégner de cette vue, de ce paradis blanc et bleu, sans vent, avec même un peu de chaleur, beaucoup de quiétude aussi parmi cette nature. Nous montons en altitude en longeant le lac. En s’élevant, on prend conscience de notre petitesse dans ce monde naturelle, de notre insignifiance temporelle face à des millions d’années d’évolution de la nature autour de nous, bien avant nous. Et on a la chance d’y pénétrer, d’en être témoins de ces 2 lacs successifs, de ces chaînes de montagnes, de ce brouillard qui cache à nos yeux le nord de la Terre de Feu, de ce lever de soleil face à nous. Quel enchantement. Quel bonheur et quelle beauté. L’équipage du Panzer en fait des pauses photographiques, car impossible de ne pas s’arrêter. Aucune excuse à avoir, c’est juste beau. Ce serait un sacrilège de ne pas le reconnaître.

La montée est constante, avec sur un petit pourcentage, une route humide mais pas verglacée, et le soleil nous réchauffe même les extrémités. Royal. Le paradis pour nous que nous atteignons peu avant midi: le Paso Garibaldi, sous la neige bien-sûr. Nous ne sommes qu’à 450m d’altitude, mais la latitude (54° 48′ 57″ sud) est bien australe pour y amener de la fraîcheur. Nous profitons du mirador construit pour quelques séances photos, discussions et quelques grignotages dans le vent et le froid. Ici, il pique bien! On ne fait pas long feu car 47km nous attendent encore!

On passe le col, petit virage sur la gauche et nous voilà en descente et à l’ombre! Moi qui adore ne pas pédaler, aller vite sans effort, je suis servie mais avec des doigts gelés. Sylvain, pareil, je le vois devant moi en train de secouer ses mains. Il gèle vraiment de ce côté de la montagne, qui ne voit jamais la lumière directe du soleil en hiver. La vitesse que nous prenons n’arrange rien aux degrés qui s’effondrent. Raphaël n’a pas froid c’est le principal. J’espère que pour Emma, c’est la même chose. La neige y est aussi bien plus abondante sur ce versant, disons qu’elle n’a jamais l’occasion de fondre. La route est sinueuse sur plusieurs kilomètres en descente vers la vallée. Les freins ne sont pas au top avec le froid, on reste vigilant et nous nous arrêtons de temps en temps pour réduire notre vitesse et pour admirer avec nos yeux ou l’appareil photo les montagnes au dessus de nous. Blanches, éclatantes, de vraies meringues d’hiver. C’est un peu comme si nous étions dans les Alpes en train de faire du vélo tranquille avec la neige sur la route. On n’est pas tarés quand même? Plus pour longtemps! Les 8km de descente plein sud sont un supplice réel pour les adultes, on souffre des mains comme jamais auparavant. Les doigts de Sylvain deviennent blancs et ses ongles changent de couleur. Il faut que l’on file d’ici le plus vite possible. Après une multitude de virages en descente, celui en épingle nous redirige vers l’Ouest.

Au carrefour avec la route 33, dans la vallée, nous apercevons les voitures de la « vialidad nacionale » orange et bleu, devant leur guitoune, avec Gustavo et Denis! Excellent de les saluer de nouveau ici, c’est un réel plaisir. Comme si nous étions au tour de France avec nos supporters sur les bas côtés! Plein d’entrain, nous entamons la partie « fond de vallée qui remonte vers un second col ». Oui, l’intitulé est long mais très représentatif de ce que nous vivons à cet instant-là. De part et d’autre de l’unique route s’étend des chaînes montagneuses qui rivalisent de beauté, de blancheur, de surface moutonnée, de pics acérés, juste pour notre plaisir. C’est effectivement une partie magnifique que nous découvrons en douceur, au gré d’une route sinusoïdale que nous partageons volontiers avec beaucoup de 4×4 aventure. Nous bénéficions de leur klaxon d’encouragement, des tentatives pour nous filmer au passage ou même de leur bras levé signe de force. Ca nous plaît, nous émeut aussi de ne pas se sentir seuls, d’être accompagnés de la sorte. Nous nous reconcentrons sur nos pédales, et savourons les rayons du soleil qui touchent enfin cette partie. Les activités en raquettes, motoneige ou chiens de traîneau sont ouvertes au public et amènent son lot de voitures. Tout comme la station de ski Cerro Castor, la plus australe du monde à 12km de Denis et ses collègues. C’est que les kilomètres avancent comme les aiguilles de l’horloge à force de contempler la nature.

Il est déjà 13h30 et nos estomacs sont vides! Le froid est énergivore et nous sentons nos batteries s’épuiser. Adossés au panneau d’entrée de la station, nous grignotons un petit sandwich rapide. On aurait envie de prendre notre temps, mais c’est plus du froid que nous prenons. Nous n’arrivons pas à manger sans nos gants, le reste du corps suite à la transpiration devient gelé. Après les sandwichs, c’est au tour des gâteaux sucrés à la vanille d’être engloutis avant un redémarrage sur la glace puis le goudron.
Dans 22km, c’est la fin de notre route. De notre journée. De notre voyage. De notre aventure. De nos rencontres et nos péripéties. Comment cela a-t-il pu passer si vite? Une impression de n’être partis qu’un mois, de ne jamais avoir trop quittés la France, de ne pas avoir traversés tous ces pays sur ce même voyage. Les larmes me viennent aux yeux. Stop, on se focalise sur l’instant présent. Pour finir, nous avons le droit à 9km de côte puis 13 de descente. Nous les faisons tranquillement, sans crevaison, chose exceptionnelle pour nous et surtout nos pneus! Comme une balade au calme, nous savourons ces derniers instants sur nos selles en cuir, la tête levée vers les cimes de cette Cordillère.

Puis au km 3041, c’est la fontaine. Je sens de la chaleur sur mes joues, sans rien ne pouvoir y faire. Des larmes de joie ou de tristesse? Je ne le sais pas. C’est juste beau et c’est juste la fin. La fin de mon binôme avec Raphaël, de nos 2 vélos, de ce vélo devant moi que je vois depuis tant de temps, enfin du dos de Sylvain et son coupe-vent jaune poussin (plus ou moins loin !), de ce vent sur le visage, de ce souffle qui me rend vivante, de cette liberté d’aller et de s’arrêter où bon nous semble…. Je ne veux pas y arriver. Pas encore, je ne suis pas prête. J’en veux encore moi! Encore un soir de bivouac, encore un feu au milieu de nulle part, encore un guanaco qui me regarde avec ces beaux yeux globuleux, encore des sourires et des embrassades de nos rencontres d’un jour, encore et encore…
Et à cet instant, un petit miracle qui me donne le sourire même en pleurant. Des gyrophares sur le toit d’un pick-up couleur bleu et orange! Devinez qui est au volant?? Denis! Il nous salue et reste derrière nous, comme un rempart pour les voitures venant de derrière. Il va à notre vitesse dans ces 10 derniers kilomètres, nous soutient. C’est énorme. On n’est pas seuls à vivre cet instant tant attendu. Nous pédalons de concert le Couillot et le Panzer, en s’enfilant dans un tout petit passage, tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche, sans entrevoir la ville. A chaque virage, j’allonge le cou pour cette ligne d’arrivée que l’on a longtemps imaginée. Denis nous double avec des encouragements, mais un autre pick-up orange et bleu a pris le relais et nous protège toujours et vient à notre hauteur avec Gustavo au volant : »un kilometro » puis se rabat derrière nous.
Quelques maisons dans la végétation forestière, un océan à l’horizon derrière les branches et les 2 piliers à l’entrée de la ville. Une énorme sirène retentit dans notre dos depuis le pick-up de la « vialidad », des klaxons aussi d’autres voitures dans l’autre sens, et mes larmes sur le visage. Ça y est, on y est, on l’a fait, on l’a réussi. Ushuaïa est là. On gare nos vélos sur le bas côté gelé, le Couillot glisse et se casse la figure, c’est une belle entrée pour le final! On le remonte et on se prend dans nos bras (en pleurant), on se félicite mutuellement et sommes félicités par Gustavo et son collègue qui nous ont suivis sur plus de 5km entre 10 et 20 km/h dans leur voiture. Quelle arrivée! Quel accompagnement en fanfare! Merci à eux. C’est vraiment extra comme ça. Emma et Raphaël en profitent pour glisser sur les plaques de glace autour de nous, en profitant même pour y plonger une chaussure dans l’eau gelée et finissant donc en pleurs pour Emma! Après quelques photos (avec les yeux rouges pour nous deux) tous les 4 et tous les 6, nous les remercions de ces instants extraordinaires pour nous et les laissons aller au travail!

Nous ne réalisons pas encore (même à minuit ce soir lorsque je vous écris) ce que nous venons de terminer, que c’est terminé d’ailleurs. La ville s’étend devant nous, derrière ces piliers de bienvenue, et à plus de 16h, le choix de se diriger directement à l’appartement à 3km est plus raisonnable que d’aller en centre ville au panneau mythique avec les lettres de la ville. D’y faire le détour maintenant nous rajoute 10km aux 3 nécessaires, et donc 1h de plus de vélo avec du dénivelé, puisque notre logement se trouve sur les hauteurs à +150m, les lettres au niveau de la mer, avec un crépuscule dans moins de 45min. Prudence, jusqu’au bout aura eu raison de notre réussite. Les lettres nous attendront demain, en vélo s’il vous plaît, on y tient, mais sans les lourdes sacoches.
De retour en selle tous les 4, les larmes séchées, c’est en direction de notre duplex que nous roulons nos derniers mètres en tandem. Ça fait quelque chose quand même. L’avantage, c’est que l’on enregistre bien les derniers moments,  on les identifie bien. Une dernière petite photo de la baie et des montagnes sur les îles en face, et en 5min, on se gare devant le bâtiment où nous logeons ce soir et pour les 6 nuits prochaines. Je vous passe les inquiétudes de ne pas savoir quelle porte c’est, de n’avoir personne qui nous accueille à la bonne porte (après enquête chez les voisins), de ne plus avoir assez de crédit pour contacter le propriétaire. La clé est trouvée, nous avons pu entrer au chaud, les enfants et toutes les sacoches. Le logement est très grand et propre, et après une recherche assidue partout, on trouve le WiFi pour enfin communiquer avec nos bailleurs. Ça y est, on souffle. On se pose.

On ne réalise toujours pas où nous sommes. Je pense que ça ne le sera que lorsque les vélos seront démontées. Avant, c’est comme dans chaque ville où nous nous sommes posés pour recharger nos batteries corporelles et prévoir la suite de la route. A nous sur ces 6 jours, de prévoir une suite… pour la France.
Un peu de motivation est nécessaire pour Sylvain pour se dévouer à aller en ville à pied au supermarché avant la tombée de la nuit (je ne suis pas rassurée d’y aller à ce moment-là de la journée et il se propose donc) pendant que je m’attelle à ma passion: le rangement et l’organisation ! Les enfants passent à la douche à tour de rôle et envahissent notre chambre au 1er avec tous leurs jouets étalés au sol, pendant que je vide les sacoches, range dans l’armoire, trie déjà quelques vêtements que nous avions achetés pour la météo frisquette et fais tourner une machine! Sylvain remonte (littéralement au vu du dénivelé dans la ville) des courses en taxi « fanjo » puis profite d’une bonne douche chaude décrassante.
Notre soirée peut commencer, un bon repas chaud à table tous ensembles, une petite bière (ou 2), les infos françaises (histoire de se tenir au jus), et une émission pour faire plaisir aux enfants Fort Boyard!

Nous sommes tous fatigués, certains ont le visage rouge à cause du froid, d’autres baillent ou s’endorment à table… Il est temps de découvrir nos lits respectifs, de se féliciter à nouveau de ce challenge accompli, de remercier les loulous de nous avoir accompagner dans cette idée folle et nous nous plongeons dans le sommeil. Enfin, eux 3, pas moi, comme d’habitude! Mais j’aime ce moment seule, ce moment qu’à moi, qu’à vous et moi.
Ce fut un plaisir sur ce second voyage d’écrire chaque soir même si ce fut parfois éreintant. Ce fut un challenge aussi de tenir sur la durée cette échange avec moi-même et avec vous bien évidemment. Ce fut un honneur de me savoir lue par vous. Je fus et reste touchée par vos marques d’affections, Sylvain aussi d’ailleurs pour en avoir discuté ensemble. Cette plume m’a fait du bien et nous fera sûrement du bien aussi plus tard, quand nous nous replongerons sur cette belle aventure de vie. Ce fut modeste mais essentielle finalement pour moi, de ne pas oublier cette tranche de vie à 4. Merci à vous et à bientôt pour de nouvelles aventures! Et bah, forcément!