Argentine Patagonie – Notre traversée vers la pointe de la province de Santa Cruz – J 775 à J779

El Calafate à Rio Gallegos – 305 km D+908m


Petit changement d’écriture sur ces 300km que nous venons de traverser sur la province de Santa Cruz. Dans notre tête, depuis El Calafate, les kilomètres suivants sont quelque peu découpés en 3 parties:
celle qui arrive, la traversée d’Ouest en Est du pays jusqu’à Rio Gallegos, le premier tiers et la fin de la province de Santa Cruz. Le second tiers, la traversée du Chili sur 250km jusqu’à San Sebastian ou Rio Grande. Puis enfin le dernier tiers, la province de Terre de Feu en Argentine, de nouveau, pour accéder à la ville d’Ushuaia, notre but ultime.

Programme de El Calafate à Ushuaïa


Par conséquent, nous voulions vous narrer ce premier tiers d’un coup, d’un tenant, d’un seul article pour 5 jours, car tous les jours, la même routine de rangement et de pédalage, le même paysage, les mêmes animaux. Allez, c’est parti!

En quittant El Calafate, nous nous sommes retrouvés vite seuls, vite isolés, vite avalés par la nature sauvage, par ses collines et ses paysages autour de nous. Chaque jour, nous avons pu admirer ce qui nous entourait, ce qui ne nous quitte plus depuis quelque temps, l’identité même de la Patagonie depuis presque 1000km: le désert jaune, les buissons, les clôtures, les poteaux électriques, les gazoducs, les vallons, les rivières asséchées, la Cordillère…. Voici un petit panel de cette nature rude parfois pour nous et sûrement pour les animaux, avec ce manque d’eau. Même si chaque jour, le paysage est identique, les couleurs, les lumières, le soleil, la neige incroyable à 800m d’altitude qui débarque dans un col, nous le fait voir différemment.

Ce paysage qui manque parfois d’eau mais pas de vie pour autant, nous nous en imprégnons encore plus maintenant sachant que ce sont les derniers jours de notre aventure. Dès la traversée de la ville touristique, les animaux nous suivent: les chiens d’abord comme une escorte, les canards ensuite. A la sortie, ce sont les guanacos qui prennent le relais et passent devant nous, l’œil inquisiteur, la patte à l’arrêt, le saut bondissant au-dessus des clôtures. Même au col, avec la neige, ils sont là, broutant, aveuglés que nous sommes par la réverbération du soleil.
Les nandous courent toujours aussi vite, le corps dodelinant et nous montrant leurs plumes grises et blanches. Mais ils se font plus rares à présent et à mesure que nous nous dirigeons vers le Sud-Est et la ville de 80 000 habitants de Rio Gallegos. Rare aussi le puma, pourtant bien présent dans les contrées sauvages. Depuis longtemps, on nous raconte ces rencontres fortuites en montagne, ces légendes sur ce félin… Nous n’apercevrons que son empreinte dans la boue séchée, près de la carcasse d’un guanaco coincé sous un pont. Mais la taille et la netteté de cet indice animalier nous fait plaisir. (On ne vous dira pas que la veille au soir, nous avions fait cuire des côtes de porc dans la tente, à quelques dizaines de mètres de l’empreinte du Puma…)
La rencontre la plus spectaculaire, la plus incroyable, la plus douloureuse, la plus olfactive, la plus difficile à supporter par la suite fut sans nulle doute celle avec un putois. Pépé le putois ou P.P. le putois, de ces initiales qui peuvent signifier ici Pet Pourri! Et bien ce sconse a décidé en pleine nuit de venir mettre son museau dans notre poubelle. Après nos cris pour le faire sortir de l’abside de notre tente, monsieur P.P. lève le museau et s’avance vers nous (cachés derrière la moustiquaire) et nous montre son derrière! Oh purée! On ferme en catastrophe la moustiquaire spéciale neige qui obstrue un peu plus, mais rien n’y fait. L’odeur pénètre dans toute la tente. On se rebiffe et on essaye à nouveau de le faire partir par l’autre côté de l’abside. Monsieur la moufette se décide à se diriger doucement, très doucement vers la sortie droite… et fout son nez dans notre poche de petit-déjeuner avec des empenadas! Ah non, même pas peur le bestiaux, il prend même son temps! Il fait nuit, c’est inconfortable comme odeur maintenant, et monsieur passe au restaurant. Ce n’est que lorsqu’on lui retire la poche, offusqué, il reçoit un bon 46 dans le museau et enfin, sort par dessous la toile de la tente. Mais ce P.P. se fiche de nous, et à l’extérieur, on voit qu’il s’allonge sur la toile pour nous envoyer son arme odorante. Obligés de sortir de notre « chez nous » pour l’éloigner un peu plus, pour protéger nos narines, enfin, ce putois nous laisse dormir. Enfin, ça, c’est vite dit. L’odeur puante de ce pet poivré ne nous lâchera pas de la nuit, même avec le tour du coup sur le nez, même 3 jours après, nos duvets, certaines sacoches et vêtements, nous rappellent gentiment notre rencontre animalière dans ce désert! On n’a pas eu le temps de prendre des photographies, vous en conviendrez, aussi parce qu’il fallait avec ses deux mains pour s’activer et se boucher le nez…

Ce tour du cou fut bien utile pour le froid. Même si du soleil, nous en avons eu. Notre monsieur météo l’avait bien checké avant de partir, condition « sine qua non » pour sortir de nos abris chauffés. Mais, encore quelques minutes de moins d’ensoleillement le matin et le soir. Les frontales s’utilisent donc quotidiennement dès le lever et dès quasi l’arrivée sur un bivouac, après le montage de notre maison, tout comme les vêtements chauds. Sur 5 jours de pédalage, un seul nous permis d’atteindre les 3 degrés positifs dans la journée, de ne pas avoir les doigts qui piquent et qui brûlent, d’enlever pour un temps nos gants! Quelle liberté… de courte durée. Pas de glace dans les gourdes, pas de poche de 10 litres inutilisables pour cause de gelée.

Seuls sur ces 5 jours, en famille, nous nous sommes encore rapprochés. Est-ce la fin de cette aventure, de ces bivouacs, de ces feux fédérateurs, envoûtants qui incite cela? Toujours est-il que nous avons eu une demande particulière de notre Raphaël les soirs: se faire un câlin ensemble, bien serrés. C’est à la lueur du feu, en doudoune et bonnet, que nous nous serrons tous les 4, comme une cohésion familiale, un moment hors du temps, un câlin de famille, un moment fédérateur. Ce que c’est tendre, chou. Chaque soir, nous le réalisons… Raphaël y tient, et nous aussi. Comme pour apprécier ces derniers moments de bivouac, de campement dans la nature, de feu fédérateur que nous perdrons une fois arrivés à Ushuaia. Comme pour se rappeler de ce temps qui file si vite, qui nous échappe.
La routine fut présente pour nous durant ces 5 jours, le même quotidien. Pendant que nous montons la tente sur les campements, les loulous jouent assis dans les talus, sur les pierres avec leur famille d’os. Et oui, ils ont trouvé de nouveaux petits os. Ils sont devenus les enfants de leurs os précédents! La famille Dem s’agrandit mais pas comme vous le pensez. C’est moins grands, moins lourds et moins bruyants! Pas mal. L’atelier de dessin sur ces arrivants permettra à Emma de se poser pendant que les jeux de guerre et le circuit avec des figurines est privilégié pour Raphaël. De ce côté, le fond sonore augmente avec de nombreux bruitages.
Le feu, chaque soir, réchauffe nos corps, nos eaux, notre lait, notre repas aussi. Il est construit avec des pierres autour et avec les buissons secs, les bouts de bois trouvés dans l’herbe à côté… les enfants sont très forts pour cela, pour nous trouver des trucs dans des endroits improbables!! Une fois autour du feu, il est compliqué de s’en éloigner… C’est pourquoi nous mangeons près de lui, au crépuscule et à la nuit. Les braises sont hypnotiques et on ne peut s’empêcher d’en profiter encore un peu. Lorsque le feu se meurt et nous rentrons, obligatoirement dans notre maison et nos duvets!

Encore des journées où seules les rencontres comptent, avec l’humain ou les animaux, où le paysage est monotone, plat, où le ciel est constant dans les bleutés de nuages. Mais des éclaircies de sourires argentins ont ponctué notre journée et nous réchauffe toujours, sur la route . Elle fut longue. La musique nous accompagne, obligatoirement, pour s’évader, pour ne plus penser au pédalage, pour avancer sans réfléchir, sans penser au temps qui passe à chaque minute égale à la précédente. Sur notre mâtinée, 2 voitures se sont arrêtées. La première pour que le conducteur nous offre une boisson gazeuse. Il était cyclo et s’est acheté une moto pour voyager. Ne lui manque plus que quelques vêtements nécessaires! Il fut une tornade pour nous par sa tonicité. Excellent. La seconde pour nous donner également des fruits et du temps. Jessica, Mario et leurs 2 filles Camila et Paloma reviennent sur Rio Gallegos d’une compétition de roller. Merci à eux et à ces jeunes filles adorables, très bavardes (mais dans le bon sens du terme!). Ou comme avec Oscar et Liliana, sur la route puis à leur retour de Rio Gallegos au poste de contrôle, leur sourire, leur temps pour discuter ensemble, et leurs galettes sucrées, mangées très rapidement!!

Allez hop, on se reconcentre sur notre route, égale à elle-même, quelque peu monotone. Sauf que là, Raphaël a envie de pédaler et de faire la course avec le Panzer. Comment vous dire? Que Sylvain et Emma n’arrivaient pas à suivre… que mes cuisses s’en souviennent encore… qu’il a de la force ce bougre et que j’aimerais beaucoup qu’il s’en serve bien plus bordel! Je suis crevée après chaque journée, le voyant jouer, les jambes croisées sur son pédalier, comme sur une chaise longue. Ce n’est plus le même poids qu’en juillet 2019 à 4 ans (pour Emma, aussi. Vous avez vu comme elle est grande la poulette??). On a fait 15km dans un temps record!

Cela m’a fait bizarre hier (et chaque soir) de regarder un film et de ne pas écrire. Non pas que le film n’était pas intéressant, juste que j’avais l’impression de m’éloigner de mon voyage. L’impression que j’allais oublier une journée, de ce que nous avions vécu. Quand je l’écris, j’ai la sensation qu’il reste plus en mémoire, ou en tout cas, qu’il reste écrit quelque part et que je peux le relire. Alors ce soir, après notre moment familial, je reprends mon écriture depuis ce matin. Mais je la garde pour moi!! Promis, je reprends cette bonne habitude au sortir de Rio Gallegos.

Voici comme ce sont passés nos 5 jours entre El Calafate et Rio Gallegos, la grande ville à la pointe de la province de Santa Cruz. Nous y avons trouvé à la dernière minute, dans la ville même, un appartement pour y séjourner quelques jours. Déjà, pour se reposer, nettoyer nos vêtements, faire sécher la tente glacée et les duvets, faire les démarches auprès de la migration chilienne, ainsi que celle d’Argentine, puisque nous sommes sur leur territoire depuis plus de 3 mois (durée du visa…), attendre 2 jours de plus pour laisser passer le vent violent venant du Sud (et donc de face pour nous!!!), vérifier le passage de frontière et celui du détroit de Magellan à la suite (un rêve pour moi, depuis le temps que j’en parle dans mes cours d’histoire!!)….

Mais demain, samedi 18 juin, c’est un autre appel pour nous, celui du Chili, de la terre sauvage, du sud et des derniers 600km. On vous retrouve à Rio Grande dans 300km, on croise les doigts pour que les précipitations de neige prévues pendant 10 jours se calment!

Le principal dans des jours comme cela, ce n’est pas le paysage, pas la nature, ni les animaux. C’est de tout simplement être tous les 4.

9 commentaires sur “Argentine Patagonie – Notre traversée vers la pointe de la province de Santa Cruz – J 775 à J779

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  1. Leatti querida.. Que hermoso leerte saber de ustedes 🙏 todo va bien, esa colección de huesos de Raphael 🤗♥️ y el zorrino.. tremendo!! 😮 Un gran abrazo linda familia.. Bendiciones.. Vamos queda menos 👏👏

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  2. Beaucoup de mélancolie dans ce reportage où l’unité de votre petite famille,la solidarité et l’amour dans l’aventure qui touche à sa fin, auront été essentiels pour la réussite de votre extraordinaire entreprise.Et avec de l’humour maintenant pour relater l’intrusion de PP le putois !!!

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  3. Super et merci les amis bravo pour vos récits toutes ces émotions qu’on ressent quand on lit votre voyage on vous aime fort gros bisous de tous les quatre Maxou

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    1. Une aventure riche en rencontres et en émotions, une solidarité familiale essentielle et réconfortante surtout sur cette fin de parcours. De toute façon, un câlin fait toujours plaisir !! Un petit cadeau « odorant » de la part de ce charmant PP le putois , un souvenir impérissable pour vous. La météo vous malmène sur vos derniers kms, alors, ne lâchez rien, soyez forts, unis, solidaires et heureux. Prenez soin de vous bizz 🥰

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  4. Hello les aventuriers,

    C’est avec grand plaisir que je reprends ce matin la lecture de ce récit. J’ètais privée chaque matin et Faby chaque midi depuis quelques jours, rien à lire de passionnant!!
    Alors un grand merci pour ces 5 jours racontés et photographiés. Encore de grandes émotions vécues ,de chaleur humaine , de gros calins familiaux ,sans oublier bien sûr cette odeur qui ne sent pas Chanel 5 j’ai bien compris !!
    Bravo Raphaël et Emma pour vos os peints, de l’art contemporain ,quelle imagination vous avez,félicitations .
    Le but ultime approche ,je vous souhaite de profiter au mieux de ces derniers kms sans avoir trop de vent et trop froid .
    Merci pour la carte du parcours ,je ne pensais pas que vous passeriez par le Chili .
    Plein de bisous à tous les 4

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  5. merci pour ce nouvel opus de vos aventures ! On sent que le voyage arrive à sa fin et que cela procure déjà de la nostalgie , avant l’heure si je puis dire … Rafaël a dû le ressentir et a besoin d’exprimer physiquement cette cohésion familiale . Le retour va être difficile ! Bien sûr il y aura cette grande satisfaction d’avoir mené à bien le projet, la joie de revoir famille et amis mais le retour à la vie sédentaire va vous faire drôle !
    Merci pour la tranche de rire (pour nous lecteurs , pas pour vous) de l’incursion de monsieur PP le putois dans votre maison; j’ai visualisé la scène !

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  6. Merci pour les nouvelles presque en temps réel apparemment tout se passe toujours bien et tant mieux malgré le froid… on sent une certaine fébrilité de fin du voyage et c’est bien normal au bout de tant de temps !!! Alors profitez bien et bonne continuation… A bientôt
    Annie-France

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  7. Je partage bien sûr tous les commentaires précédents, inutile de les répéter. Je voudrais apporter un peu de mon regard sur ce que tu dis Lætitia au sujet des chroniques que tu tiens absolument à tenir quotidiennement ou presque. Ce que tu écris s’appelle un témoignage. Le témoignage des choses exceptionnelles vécues par vous quatre. Ces choses ne seront pleinement vécues que si elles sont écrites. Tous les écrivains affirment cela. Une chose vécue dont on ne conserve pas trace disparaît comme si elle n’avait pas existé. Je note au passage que l’adoption d’os par les enfants procède du même souci de conservation de traces mémorielles. Ces os sont leurs pages d’écriture. Bonne courage pour le « sprint » final ! Bises

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  8. Je partage bien sûr tous les commentaires précédents, inutile de les répéter. Je voudrais apporter mon regard sur ce que tu dis Lætitia à propos des chroniques que tu tiens à tenir quotidiennement ou presque. Ce que tu écris s’appelle un témoignage. Le témoignage des choses exceptionnelles vécues par vous quatre. Les choses de la vie ne sont pleinement vécues que si elles sont écrites. Tous les écrivains affirment cela. Une chose vécue dont on ne conserve pas trace disparaît comme si elle n’avait pas existé. La chronique et les photos de Sylvain contribuent à ancrer ces trois années de vie dans le patrimoine familial bien au-delà de votre propre existence. Je note au passage que l’adoption d’os par les enfants procède du même souci de conservation de traces mémorielles. Ces os sont leurs pages d’écriture. Bonne courage pour le « sprint » final ! Bises

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