Argentine Patagonie – Qui a appelé la DDASS? – J732 et J733

J732 – Mercredi 27 avril – Bivouac enneigé – Stand by


Heure d’écriture exceptionnelle ce matin, 8h37, car situation exceptionnelle. On le savait, on s’y attendait mais pas de cette ampleur. Cette nuit à 2h en allant aux sanitaires, la voie lactée partait de l’horizon à l’ouest et déchirait le ciel jusqu’à l’est. Magnifique cette ouverture sur l’espace, ces étoiles sans nuages aucun… Mais ce matin, il fait sombre sur la tente. Euh, plutôt l’igloo! La neige est venue jusqu’à nous, une seconde fois en Patagonie, sur notre bivouac. Et la tente est bien sous 15 cm, les vélos aussi, la route… Ce n’est qu’en enlevant cette couche blanche que l’on entend sur la toile qu’il neige toujours. Dilemme: partons-nous d’ici sous ce climat pour atteindre l’hôtel restaurant à 67km? Ou restons-nous toute la journée sous la tente espérant qu’il déneige dans la journée pour partir demain? A cette heure, la décision n’est pas prise. Nous allons petit-déjeuner, elle arrivera sûrement ensuite…


Elle est bien arrivée. Le choix fut pris de rester une journée ici. La neige tombe fortement et colle énormément sur la toile et donc sur la route. L’absence de visibilité (on ne voit pas à 100m) rend notre progression éventuelle sur la route trop dangereuse parmi les camions et rares voitures qui n’empruntent qu’une voie de circulation.

Alors, on prend notre temps, on se pose tous les 4 dans 4m² avec 1m20 de hauteur après avoir pris notre thé, café et lait chaud. Une sortie s’opère à tour de rôle pour profiter des bottes d’Emma et ainsi aller aux sanitaires. La suite? Patience! C’est dur de parler à 4 dans cet espace riquiqui, c’est dur de s’écouter, de s’asseoir sans déranger son voisin, de bien s’installer, d’avoir la place nécessaire pour les jambes de chacun, tout en travaillant l’école! Mais, c’est ce que nous faisons, des mathématiques, du français, de la dictée de mots et phrase du jour. C’est aussi de l’écoute, avec le Podcast de Maud Fontenoy (chez Christophe Hondelatte) que l’on a beaucoup aimé sur les challenges, sur le dépassement de soi, l’adaptabilité… Des paroles si justes à nos oreilles et tellement bien exprimées!
Il y a aussi atelier couture pour Sylvain. Le temps passe vite sous la tente. Le plus dur, c’est l’addition froid+humidité qui transperce jusqu’aux os. La neige ralentit ce qui va nous permettre de ne plus sortir pour déblayer les abords de la toile à la poêle à frire! Ce qui va nous permettre aussi de ne plus secouer le dessus de la tente pour dégager l’accumulation de neige qui alourdit et assombrit notre intérieur.


Nous déjeunons à l’intérieur forcément, mais à l’intérieur de l’intérieur pour plus de chaleur, sur les matelas pour l’isolement au froid venant du sol, tranquillement. On est bien. On est toujours bien! On s’adapte et on relativise sur la situation. On a de quoi se nourrir et grâce à la neige propre, de quoi boire. La vie est belle. Finalement, c’est une bonne journée!

L’après-midi, Sylvain arrive à trouver du bois moins humide que les autres et fait partir un bon feu. La casserole de neige récupérée est posée dessus… histoire de se boire un thé chaud! J’y vais de ce pas, braver les derniers flocons de neige à 15h14.
Après la boisson chaude, pendant 1h30, ce fut atelier « bonhomme de neige » par Emma et Raphaël, suivi de Sylvain, pour un grand bonhomme de neige collaboratif avec les loulous. Le feu a été vif, suffisamment pour bien réchauffer toutes les 10 min les mains utilisées, pour faire fondre de la neige pour la vaisselle d’hier (casserole de purée et poêle grasse des saucisses à récurer) à l’eau chaude et pour se laver les mains. Dans le courant de l’après midi, la neige s’est arrêtée de tomber, il fait même beau en fin d’après-midi. Nous avons droit à la visite de la police qui nous aperçoit passant sur la route 40. 3 policiers nous interrogent et nous demandent nos passeports. Leur discours est particulièrement inquiétant sur la météo à venir. Sylvain s’en trouve d’autant plus surpris qu’il a bien pris soin de vérifier en détail les prévisions avant de quitter le village de Gobernador Costa. Ils nous annoncent que les chutes de neiges vont être de plus en plus importantes sur les jours à venir… Bon, on verra… Avant les derniers rayons du soleil, nous avons la chance de voir des « tinamous à crète » tout proche de la tente. On finit la journée dans la tente-cinéma. Petite session entre nous, au chaud

J733 – Jeudi 28 avril – Bivouac Maison abandonnée à Los Tamariscos – 67km D+36m


Alors là, une nuit comme ça, ça ne s’invente pas. J’entends du bruit sur la route alors que nous étions en train de dormir, une voiture recule avec une lumière bleue sur le dessus, je m’assois et vois 2 personnes en descendre avec des lampes. Je réveille Sylvain… Nous comprenons qu’il s’agit de policiers. On sort la tête de la tente pour leur demander de patienter un peu le temp de s’habiller. Il y a un policier, un gendarme et une personne de la protection civile. Ils arrivent avec un gros fourgon depuis Gobernador Costa à 60 km et viennent nous chercher. What? Il est 1h05 du matin, il fait -2 degrés.
Suite au contrôle de nos identités, hier après-midi, ils savent que nous avons des enfants mineurs, et ils nous indiquent intervenir dans le cadre des lois sur la protection des mineurs. Ils veulent qu’on rejoigne un foyer dans la ville d’où ils viennent (nous aussi d’ailleurs, on en vient) car la météo est trop mauvaise. Il devrait faire -6 degrés au lever du jour. Ils sont inquiets pour nos enfants… et nous invitent à mettre un terme à notre projet car les conditions météos sont vraiment trop mauvaises plus au Sud.
Bon, Sylvain leur explique que tout va bien, que nous voyageons depuis suffisamment de temps pour avoir un peu d’expérience, que notre équipement est adapté même s’il fait très très froid, et que nous n’avons aucune intention de faire prendre des risques à nos enfants. (On n’est pas des parents indignes, quand même!). Nous ouvrons la tente et leur montrons nos 2 loulous qui dorment tranquillement malgré le froid. Ils prennent note de notre refus de démonter la tente dans le noir à 1h du matin, de remballer toutes les affaires de la famille et de monter les 2 tandems dans leur fourgon (fait normalement de jour en 1h30) pour rentrer avec eux et mettre un terme à notre voyage. Ils nous demandent de signer une décharge de responsabilité. On s’exécute. A nouveau, ils nous alertent sur les conditions météo pour les prochains jours pour nous convaincre de renoncer. Que nenni ! Si on doit arrêter, ça sera notre décision. Ils repartent donc tous les 3 en direction de Gobernador Costa.

L’endormissement suivant fut difficile… mais la nature nous récompense le matin même à 8h, lors du réveil naturel. Le feu est rallumé au bout de 30 min de combat car il est bien difficile de trouver quelque chose de sec. Le soleil étincelle le manteau neigeux et nous donne envie de sortir de la tente pour petit-déjeuner tous ensemble autour de la chaleur du feu. Une belle, très belle journée s’annonce. La route est dégagée et sèche. Pas de vent, pas de bruit. Le discours des policiers sur la météo terrible à venir, n’avait selon nous, pour seule vocation que de nous effrayer. Tant mieux.
Il nous en faudra du temps ce matin pour tout rassembler, raconter notre nuit aux enfants, nettoyer comme on peut les casseroles noircies par le feu, défaire l’intérieur de la tente pour ne pas la tremper, plier l’extérieur avec la glace dessus, profiter du feu, interdire aux enfants de jouer dans la neige pour éviter de tremper leurs chaussures…


Et à 10h36, les voilà, les tandems rouges parmi le paysage blanc immaculé. Les montagnes, les champs, les buissons, tout est recouvert. C’est juste sublime. C’est ainsi que nous démarrons cette journée ensoleillée, le sourire aux lèvres, la main qui se lève régulièrement vers les voitures qui nous saluent et parfois s’arrêtent même. Nous apprenons que ce matin, sur la radio de Gobernador Costa, ils ont parlé de nous, une famille qui dort sous la tente par la neige!!! Ça nous fait rire. On continue la route, cette ligne droite en goudron, gris foncé parmi la blancheur. Les rapaces sont tellement visibles autour de nous, prêts à chasser, à s’envoler au-dessus de nous. Comme notre drone que l’on sort pour l’occasion. Petit temps de pause où l’on s’éclate, où l’on danse sur la route (sans personne!!!). On est juste heureux.

Je le suis, heureuse, et mes larmes de joie en témoignent: je suis à ma place et je suis juste bien. C’est tellement beau cet instant. Ce moment de grâce. Avec Sylvain, on pense la même chose: si on n’arrive pas à Ushuaia, ce n’est pas grave, car nous avons vécu cela, cette journée hier et la neige. Nous avons découvert le paradis froid aujourd’hui!
Mais le temps passe, file, plus vite que nos roues sur l’asphalte. Il n’y a pas de miracle, entre l’arrêt de l’automobiliste, le drone, les photos, les guanacos et les 3 cyclos! On papote, on prend son temps et on arrive déjà à 14h. Mais c’est tellement enrichissant. Les 3 cyclos viennent du sud, de notre destination finale, ils se sont rencontrés sur la route et font route vers le nord sur leur vtt. Chacun a sa propre direction, mais partager la route, c’est extra. On discute, on se photographie, on photographie les vélos, on se prend nos adresses respectives pour se suivre sur le net (quand on sera en France, on aura envie d’évasion encore peut être??) et on se dit « adios, suerte, ciudado, buena vida de viaje et merci pour le vent dans le dos pour nous! ». Ils rigolent et ça ne va pas être facile pour eux les 90km qu’ils leur restent pour arriver sur GC avec ce vent gelé de face. Bon courage à ces 2 argentins et cet espagnol. Pour nous non plus, ça ne va pas être de la tarte. On a roulé sur 20km, il en reste 47. Et il est un peu, beaucoup, très tard! On ne fait que 5 km de plus et c’est l’arrêt déjeuner, sur le bas côté, sans abri, sans arbres ni muret. Sylvain en confectionne un avec les 2 vélos et le tarp mis à la verticale pour un paravent. On ne mange qu’en 20 min notre pique-nique, le dessert est expédié. Le vent nous gèle, on se refroidit vite et cela fatigue notre organisme.


On repart aussitôt mais l’après-midi est plus dure. Après le soleil sur le sol blanc qui scintille, les nuages sont de retour, la neige a fondu, le vent nous pique et nous pousse de côté (venant de l’ouest). On remet nos vestes de pluie/vent et même les pantalons pour se protéger de ce souffle froid venu du pacifique. Les bonnets sont mis sous les casques aussi. Tout est recouvert et on pédale sans même transpirer vu la fraîcheur. On avance dans cette pampa pas si libre que ça. Des clôtures sont posées de part et d’autre, et emprisonnent les animaux, guanacos, nandous. Effrayés par nos vélos, 6 nandous essayent de s’échapper et de passer entre les fils des clôtures sans y parvenir, ils feront pas loin de 3 km devant nous, se sépareront, perdront des plumes (pour le seul qui se libèrera) et courront encore dans l’autre sens après. Quel dommage! Ce n’était pas ce que nous imaginions de la Patagonie, des terres sauvages… clôturées. La route se poursuit, une descente, une côte… et 16h qui sonne. 18km manquent à l’appel du bivouac. Faut avancer plus vite mais on est fatigués. Je suis fatiguée et finit par être aidée avec la corde du Panzer. Le vent souffle toujours, les températures tournent dans la journée autour de 7 degrés. Mais avec ce vent? Pas de musique, notre abonnement est expiré, alors c’est le silence. Raphaël n’a pas trop le cœur à discuter cet après-midi. Moi non plus, concentrée sur les pédales et mon rétro, le tour de cou vissé jusqu’au nez, le second tour de cou glissé sur les oreilles pour me les réchauffer, la casquette par-dessus, la capuche de ma doudoune (1ère fois en 2 ans que je pédale en doudoune!!!) et enfin le casque. Même comme ça, j’ai froid et mal à la tête. Mais on perdure dans notre activité physique et voyons à l’horizon enfin des bâtiments. Los Tamariscos, le parador perdu à 120km à la ronde, notre paradis du jour.


Maxi nous accueille et nous montre la seule chambre qu’ils ont pour accueillir les voyageurs: 2 lits simples dans une pièce. Mais, on la trouve jolie cette pièce! Elle nous va bien. Adjugé! Et s’ils cuisinent le repas du soir, ce serait vraiment le paradis. Ici, ce soir, ça l’est. On y arrive à 18h, le soleil se couche à la suite. Les sacoches sont mises dans la chambre, les enfants sont dans le restaurant/ pièce à vivre/ bibliothèque/ tienda près du poêle. Ils dessinent et l’on commande un chocolat chaud pour tout le monde. Souvenirs de notre enfance pour les parents.

On y reste pour le repas du soir servi à 20h30, le temps de dessiner, d’envoyer des messages à la famille et de jouer au baccalauréat. Nous prenons notre bon repas chaud: soupe maison et omelette au jambon cru- fromage. C’est un pur régal de saveur. Liliana et Maxi sont adorables. Ils nous prêtent pour la nuit 3 bouillottes très chaudes, une pour chaque lit, les enfants dormant dans le même. Il n’y a pas de chauffage dans notre chambre. Les pieds sont donc au chaud, la tête dans les étoiles à 22h pour tout le monde.

8 commentaires sur “Argentine Patagonie – Qui a appelé la DDASS? – J732 et J733

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  1. Bonjour les aventuriers,

    Non mais c’est incroyable ce que vous vivez, je n’ai guère de mot pour exprimer mon ressenti à la lecture de votre récit et de ces photos juste exceptionnelles de beauté et d’originalité.
    Vous ne lachez rien c’est dingue cette persévérence, cette positivité à toute épreuve, bravo .
    C’est quand même hyper rassurant le comportement des policiers, même s’ils se protègent de toute responsabilité!
    Soyez prudent SVP , même si le bout du bout n’est pas possible, pas grave ,ce que vous aurez vécu restera gravé à tout jamais .
    Chapeau bas à vous , Emma et Raphaël qui s’adaptent à toute situation .
    Je vous envoi un peu de soleil breton et vous fais des gros bisous

    Aimé par 2 personnes

  2. Encore des conditions difficiles mais que de beaux souvenirs emmagasinés !!! Vous respirez le bonheur et c’est vraiment super… Vous vous rapprochez chaque jour un peu plus d’Ushuaia… bonne continuation à bientôt

    Aimé par 1 personne

  3. Quelles petites natures ces Argentins !! Imaginez que vous alliez renoncer avec 15 cm de neige et des températures négatives, ils n’ont rien compris ! Vous n’êtes pas des parents indignes et savez ce que vous faites avec sérieux et prévoyance. Bon, je ne peux résister à deux chansons qui me sont venues cette nuit en pensant à vous, la première du premier amour d’Annick, Adamo

    Tombe la neige
    Tu ne viendras pas ce soir
    Tombe la neige
    Tout est blanc de désespoir
    Triste certitude
    Le froid et l’absence
    Cet odieux silence
    Blanche solitude

    La seconde de mon idole de jeunesse, Brel

    Quand les fils de novembre
    Nous reviennent en mai
    Quand la plaine est fumante
    Et tremble sous juillet
    Quand le vent est au rire
    Quand le vent est au blé
    Quand le vent est au sud
    Écoutez-le chanter
    Le plat pays
    Qui est le mien

    Deux Belges qui vous accompagnent de loin avec moi. Bises aux courageux aventuriers.

    Aimé par 1 personne

  4. Des journées exceptionnelles, des moments mémorables, des instants incroyables, sans oublier les photos qui concrétisent bien votre vécu , et toujours de bonnes et sages décisions…… Restez prudents !!
    Les policiers ont fait leur métier .. ( un peu tard dans la nuit 😉) même si ce comportement peut vous surprendre. Prenez soin de vous bizz

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    1. Buenas tardes amiga! Es de Perito Moreno que yo escribo. Gracias por su hospitalidad, de ti y de todos. Fue un placer de compartir tiempo y cena, de conocer ustedes y Las Heras y su pyramida!!! Saludos a todos. 😘😘😘😘

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